"Nous avons le plaisir de vous informer que votre nouvelle, Surprise, a obtenu les félicitations du jury et vous adressons tous nos compliments."
Cette phrase est très agréable à lire
je mets ici la nouvelle concernée
SURPRISE
Il m’avait dit : attends-moi sur la plage de l’Océan à Barbâtre à quinze heures. J’y étais depuis une heure. Ayant loué un vélo je m’étais tout d’abord promenée aux alentours pour visiter un peu, arrêtée quelques minutes au moulin de la Plaine près de l’office de tourisme, puis j’avais emprunté la route de l’Océan. Je ne pouvais pas me perdre, c’était tout droit d’après les instructions de Gérard.
J’étais arrivée très tôt sur l’île le matin même. Il faisait une chaleur ! Je ruisselais sous les bras et mon tee-shirt en élasthanne vieux rose, me collait partout, une véritable horreur. Mais pourquoi n’avais-je pas pensé à prendre des chemisiers en coton ? En plus à cause de quelques kilos pris ces derniers temps, dus au stress sans doute, tous mes vêtements étaient devenus trop étroits. Seules deux robes auraient pu faire l’affaire mais elles étaient toutes les deux noires et surtout délavées.
Je ne réalisais pas que dans une heure je verrais enfin l’homme de tes rêves. Je connaissais tout de lui. Depuis deux mois qu’il était rentré en France après un long séjour en Allemagne pour ses affaires, m’avait –il dit sans vouloir s’étendre sur le sujet, nous ne nous quittions plus. Bien sûr nous dialoguions par SMS ou par mail mais on se disait tout. Je connaissais son âge, sa taille, la couleur de ses cheveux, tout absolument tout. Il ne nous manquait plus qu’une rencontre « en vrai ». Il faut que je précise que c’était en 2001 et les caméras, les « Skype » n’existaient pas ou étaient très peu utilisés par les novices en informatique que nous étions. Franchement je n’avais qu’une hâte : le voir enfin, le toucher, l’embrasser aussi bien sûr.
J’étais certaine d’avoir eu le coup de foudre pour lui, tout ce qu’il me racontait me plaisait : ses voyages professionnels qu’il gardait mystérieux, ses mots si tendres, si doux qui me faisaient fondre, les livres que nous lisions afin d’en discuter ensuite.
Il m’avait demandé de ne jamais l’appeler car il n’était pas souvent disponible et ne voulait pas qu’un collègue soit au courant de notre relation. Moi de mon côté, mes parents n’étaient pas tendres en ce qui concernait mes conquêtes masculines. Il fallait qu’ils connaissent mes petits amis et surtout qu’ils me donnent leur avis. Alors ce fut un mystère de plus entre nous et cela nous amusait.
Mais quand il m’apprit un jour qu’il rentrait sur le continent, je fus bouleversée. Adorable, il avait même ajouté : je suis sûr que je ne serai pas déçu et que je te reconnaitrai dans une foule tellement je suis amoureux de toi.
Je souriais de bonheur en lisant ces lignes. Ses longs mails me fascinaient. De savoir que j’allais le voir enfin, je ne tenais plus en place. Je passais du rire à l’angoisse : et si je ne lui plaisais pas, et s’il était déçu?
Me voilà donc assise dans le sable, regardant les touristes qui passent devant moi se tenant par la main ou alors qui courent se jeter à l’eau et rire, rire…
Je lorgnais sans arrêt sur ma montre, le temps ne passait pas vite et j’avais des fourmis dans les jambes. Mes mains étaient moites, la sueur mouillait mes cheveux et pourtant un petit vent rafraichissait l’atmosphère.
Quelle gourde, je n’avais pas pris de sous-vêtements de rechange et tout ce que je portais était de plus en plus humide de sueur. Je devais être affreuse, toute rouge car le soleil tapait et naturellement, aucune crème pour me protéger.
Tellement eu hâte de ne pas rater mon train et de surtout être à l’heure au rendez-vous que j’avais fait n’importe quoi.
Il était maintenant quatorze heures trente. Dans une demi-heure je serai la plus heureuse des femmes. Comment vais-je faire si je le vois arriver vers moi ? Il sera en vélo ? À pieds ? Il aura sûrement laissé sa voiture devant l’office de tourisme ?
En plus il avait précisé : tu m’attends au bout de la route de l’Océan, et si on ne se trouvait pas ?
Je me levais, faisais quelques pas, secouais les bras, m’étirais, et me rasseyais, tendue et de plus en plus nerveuse.
Insoutenable cette attente, pourquoi suis-je arrivée si tôt aussi, quelle idiote ! Et s’il ne venait pas ? De plus il m’avait écrit dans son dernier mail qu’il ne fallait pas que je rêve trop, que je pourrais être déçue en le voyant et qu’il en serait très malheureux.
Je ne sais pas pourquoi il m’avait prévenue de cela car j’étais tout à fait prête à le rencontrer sans appréhension aucune. J’avais une telle confiance en lui ! Quoique… Assise sur le sable, ruisselante de sueur, commençant à avoir mal à la tête, je ne me sentais pas très bien. De plus je n’avais pas mangé un bout depuis des heures.
J’étais en plein suspense : quand arriverait-il ? De quel côté ? Comment le reconnaitrais-je ? Car lui avait beau m’écrire sans arrêt que les yeux fermés, il saurait que c’était moi, je n’avais pas le même ressenti. Et bizarrement, plus les minutes passaient plus j’étais anxieuse.
Pourtant ce moment je l’attendais depuis que nous avions commencé à avoir des relations épistolaires. Et tout à coup, j’avais envie de fuir. De remonter sur mon vélo, et vite aller regarder l’horaire des cars et des trains pour rentrer chez moi. Une peur irraisonnée me prenait aux tripes.
J’en étais là de mes réflexions quand une jeune femme vint s’assoir près de moi en étalant une grande serviette. Zut, pensais-je, s’il arrive elle va se rendre compte de mon émotion.
— Je vous dérange peut-être ?
— Mais pas du tout voyons.
— Vous avez l’air anxieuse et vous êtes si pâle…
— J’attends un ami, et effectivement, je suis un peu impatiente sans plus, cela fait des années que je ne l’ai pas vu.
Et cette gentille dame osa me faire remarquer qu’étant donné mon âge, il ne devait pas y avoir des siècles que je n’avais pas vu ce camarade.
Sans doute lassée par mon silence, elle se leva et me laissa de nouveau seule avec mon angoisse.
Il était 14h55.
Je regardais autour de moi et n’y voyais que du sable, la mer et encore du sable. Peu de gens à cette heure-ci en pleine semaine et hors saison.
Je me levais, fis de nouveau quelques pas pour me dégourdir les jambes. Je m’éloignais un peu me demandant si vraiment c’était bien là le lieu de rendez-vous ? Il était grand temps de m’en préoccuper maintenant que l’heure approchait. Je m’en voulais de ne pas m’être mieux renseignée sur cette plage. Il y en avait tout le long des plages, avec des noms sympas d’ailleurs, mais est ce que j’étais sur la bonne, la plage du Midi n’était pas loin non plus…
J’essayais de bien me souvenir car bien entendu je n’avais pas imprimé le dernier mail avec le lieu exact de notre rendez-vous et je commençais à douter, et si c’était la plage de la Cantine ou autre…
Soudain j’entendis de grands cris tout près. Des enfants hurlaient et des hommes couraient vers la mer.
Il se noie, lancez-lui une corde, vite, faites vite, appelez les sauveteurs ….
Cela me sortit complètement de mes fantasmes amoureux, que se passait-il donc ? Je pris le vélo et me rendis sur les lieux d’où provenait cette panique.
Plusieurs jeunes hommes tiraient sur une corde et essayaient de ramener quelque chose à terre. Soudain l’un d’entre eux se jeta à l’eau et cria : on n’y arrivera pas, il n’a plus la force de se cramponner à la corde. Enfin au bout de quinze bonnes minutes, alors que les secours arrivaient, les bénévoles avaient réussi à ramener le corps d’un homme et l’avait étendu sur le sable.
Tout le monde s’agitait, voulait voir : mais qui était-il ? Comment était-il arrivé là ? Il faut quand même le vouloir tomber à l’eau à cet endroit ou alors il a peut-être voulu mourir ? Il n’est pas jeune, il a sans doute eu un malaise…
Tous les arguments toutes les suppositions allaient bon train et pendant ce temps, les sauveteurs essayaient de le ranimer. Ils pestaient contre les gens qui faisaient cercle et hurlaient : mais laissez-nous travailler, il a besoin d’air poussez-vous !
Enfin, le « noyé » ouvrit les yeux et cracha plusieurs fois. Il était sauvé.
— Mais qui est-il ? On a retrouvé quelque chose ?
— Non rien, aucun papier, qui puisse aider à savoir qui il était. Mais il va pouvoir nous le dire, il a déjà repris ses esprits on va l’emmener au frais pour qu’il se repose. Rien de grave, dit un pompier qui l’avait examiné.
Le temps passait et je ne m’étais pas rendu compte qu’il était maintenant 15 heures trente, et mon rendez-vous ? Ciel je l’avais oublié !
Je retournai vivement à l’endroit que je venais de quitter. Personne. Je me disais qu’il était peut-être venu lui aussi voir ce qui se passait et qu’il allait revenir ici. Je m’assis donc et attendis.
16 heures.
Ça ne pouvait plus durer. Cette incertitude était insoutenable. Il m’avait tendu un piège. Il n’était pas venu. C’était bien ma chance, m’être déplacée de si loin pour du vent. Je le haïssais après lui avoir cherché mille excuses je ne voyais que le piège tendu à une femme de hasard. Il doit bien rire en regardant l’heure.
Je repris le vélo et pédalai jusqu’à la location.
Je ne savais plus comment me sortir de cette rage qui me tenaillait. Qu’allais-je faire maintenant ? Porter plainte ? Je m’étais fait avoir. Et moi sottement j’avais cru qu’un homme que je n’avais jamais vu allait arriver tout guilleret, le bouquet de fleurs à la main. Quelle gourde !
Je m’installai à la terrasse du Barbâtre et me commandai une bière.
Peut-être finalement avait-il eu un contretemps ? Il allait peut-être essayer de me joindre par mail ? Il me savait assez « dégourdie » pour trouver le moyen d’accéder à mes mails et il avait raison au moins sur ce point. Je demandai au serveur s’il y avait un cybercafé dans le coin. Comme il me regardait bizarrement je lui expliquai que j’attendais un message pour un rendez-vous important.
Gentiment il me répondit qu’il pouvait me prêter son portable si cela n’était pas trop long. Je rentrai donc à l’intérieur et je fis tout de suite mon code. Heureusement je l’avais en tête !
J’ouvris ma boite mail et là……
Une phrase très courte :
Mademoiselle, je ne sais pas qui vous êtes mais laissez mon mari tranquille. Il n’ira pas vous rejoindre ou alors je le tue… J’ai lu toute votre correspondance, c’est honteux…
Je tremblais comme une feuille quand le serveur revint vers moi.
— Mauvaises nouvelles, mademoiselle ?
— Oui un rendez-vous manqué, lui répondis-je en pleurs.
Je sortis hébétée du café et je ne savais vraiment plus ce que je devais faire, j’étais vidée, anéantie. Alors il était marié ? A la rigueur cela n’était pas très important car d’après ses mails il semblait plutôt indépendant. Mais comment avait-elle pu lire tout ça? C’était impensable ! Elle avait écrit cela pour me faire peur.
Je pris la décision de revenir sur la plage et de faire le point.
Il était maintenant dix- sept heures.
C’était fichu, bien fichu. Il doit rire maintenant car qui sait ? C’est peut-être lui qui a écrit ce mail ? Pour ne pas venir. Mais non ce n’est pas possible, il sait bien que je n’ai pas la possibilité de lire ses mails… sauf qu’il me savait débrouillarde…
— Bonjour Mademoiselle…
Je me retournai comme une folle !
Un homme d’environ soixante -quinze ans me regardait en souriant.
— Excuse-moi du retard mais j’ai failli me noyer et ils m’ont emmené pour les premiers soins. Je suis tombé en marchant près de l’eau et impossible de me retenir, j’avais oublié ma canne…Mais ils ont été charmants car je leur ai demandé de me laisser partir, j’avais un rendez-vous urgent…
— C’était donc vous le noyé de tout à l’heure, lui demandai-je pour gagner du temps et me remettre un peu de ma surprise.
Sidérée je le regardais mais franchement je devais avoir un air tellement niais qu’il me demanda si j’étais bien Vanessa.
Bêtement je lui répondis : oui et toi tu es Gérard ?
— Ouf ! Tu m’as fait peur, j’ai cru que tu ne m’avais pas reconnu !
— C’est –à –dire que … je t’ai tellement attendu, je t’ai tellement imaginé…
— Que veux-tu dire ? Je ne te plais pas ?
— En fait je ne m’attendais pas à ce que tu sois si vieux… si chauve…. si…
— J’ai eu un accident et effectivement j’aurais dû te prévenir que je n’avais plus qu’un bras. J’ai perdu l’autre dans une explosion sur un chantier.
— Mais en fait, tu me mens depuis que l’on se connait ? Et ta femme ? Tu es marié en plus !
— Comment le sais-tu ?
— Elle m’a fait un mail ! Oh et puis zut tu n’auras qu’à lui demander toi-même !
— Franchement Vanessa où est le problème ? Marié ou pas ? Nous nous aimons nous n’avions qu’une hâte nous rencontrer, c’est fait alors ? Que te faut-il de plus ? Mon handicap te gène à ce point ?
— Rien sinon quarante ans de moins. Tu m’as trahie, tu t’es regardé ? Tu es un vieillard, et je n’ai que dix-huit ans ! Je hurlais ma colère, ma déception.
Je l’ai laissé planté là debout sur la plage, il m’a appelée doucement : Vanessa reviens… puis il s’est tu. Il devait réaliser lui aussi l’horreur de la situation. Je suis partie en courant dans le sable vers les habitations, vers la vie et surtout vers le réel.
On dit parfois que la fiction dépasse la réalité ce fut le cas de cette rencontre qui n’aurait jamais eu lieu… si je ne m’étais pas imaginé la vie comme un suspense amusant.
Je pleurais en reprenant le car. C’était fini. Je n’aurai plus jamais envie de recevoir des messages sans avoir vu celui qui me les envoyait.
Maintenant, il n’y a plus d’attente, de suspense, comme celui que j’ai vécu, heureusement il y a les caméras. D’ailleurs je dialogue depuis une semaine avec un homme bien plus jeune que moi, il dit avoir dix- huit ans, j’en ai trente mais où est le problème ? Je vais le voir bientôt nous devons nous retrouver mais cette fois … dans les jardins du Palais Royal… Et je le reconnaitrai….