Beauté éphémère
Elle était assise devant la porte de sa maison et à travers son grillage rouillé regardait les passants. Que se passait-il dans ce petit village déserté depuis des années pour que Adeline s’intéresse à ce point au va et vient dans sa rue ?
Il faut revenir quelques mois en arrière pour comprendre. Un matin, elle se réveilla complètement transformée. Elle si douce et si jolie avait pris des rides et du poids dans la nuit. Par quel hasard ? Comment cela a-t-il pu arriver… ? Complétement effondrée devant la glace de sa salle de bains elle n’en finissait pas de se palper. Les hanches, larges, le ventre bedonnant, la cellulite sur les bras et surtout ce double menton quelle horreur. Et la cerise sur le gâteau, ses cheveux qu’elle avait longs et brillants étaient devenus gris et sales.
Pauvre Adeline. Son mari, un homme de haute taille et portant fièrement une grande barbe qu’il ne coupait jamais s’assit comme tous les matins, face à elle pour prendre son bol de café quotidien. Il ne la regarda pas, mais cela était comme d’habitude. Il y avait bien longtemps qu’il ne la voyait plus. Aussi, elle l’interpella : Paul, tu ne remarques rien ?
Paul sans lever le nez lui répondit d’une voix agacée : je devrais ?
Elle capitula. Ce n’était pas la peine d’insister, il n’en avait rien à faire. Par contre quand elle passa près de lui, il ne put s’empêcher en vrai macho qu’il était, de lui mettre une main aux fesses. Et là, enfin, il leva la tête pour la regarder.
— C’est quoi ce cinéma ?
— Que veux-tu dire ?
— Tu t’es déguisée en sorcière ce matin ? Tu as mis du rembourrage à tes fesses ? Remarque tu en avais besoin, plate comme tu es !
Adeline, suffoquée regardait son mari comme on regarde un extra-terrestre. Il n’avait rien remarqué d’autre que la taille de ses fesses ?
— Paul, tu ne remarques rien d’autre ?
— Si la vaisselle dans l’évier.
Folle de rage, elle lui balança son bol à la tête. Il rugit se leva vivement et l’attrapa par le bras en la poussant violemment dans le mur.
— Ne recommence jamais ça où je te tue de mes mains.
Pour lui aboyer cela, il la regarda et malgré tout resta sidéré. Etait-ce bien sa femme cette …Chose… devant lui ?
— Tu vois Paul, ce qui m’est arrivé cette nuit, je suis devenue un monstre. Et toi ce que tu trouves à dire c’est que je me suis mis des coussins aux fesses ?
— Alors je ne rêve pas. C’est ainsi que tu seras dans vingt ans ? Grosse, mal fagotée, ridée et hideuse ? Heureusement que c’est arrivé aujourd’hui, ainsi je sais à quoi m’en tenir.
C’est tout ce qu’il lui dit avant de monter à l’étage faire sa valise.
Elle ne le revit plus. Il la laissa se débrouiller seule et c’est pourquoi, aujourd’hui, elle reste assise dehors pour regarder les passants. C’est ainsi qu’elle vit depuis le départ de Paul.
Elle avait mis une annonce dans le journal et les gens venaient le dimanche voir la « Chose »
Car il faut reconnaître que cette femme n’avait plus rien d’Adeline. Elle était hideuse, énorme, et laide et sale.
Les gens payaient pour venir voir le phénomène dont Adeline avait fait elle-même la promotion :
« Comment savoir ce que l’on sera dans 20 ans, moi je sais. Venez voir, ça vaut le détour. »
Et depuis, des centaines de gens venaient chaque dimanche regarder à travers le grillage rouillé la pauvre femme mourant de vieillesse à 40 ans… ils payaient pour voir cela. L’homme est un voyeur.
Cette petite histoire est la mienne, Paul m’a quittée un jour sans prévenir et depuis, moralement j’ai pris vingt ans, je me sens vieille et moche et je crois que je ne vais pas m’arranger en vieillissant…