cette nouvelle figure dans le recueil collectif édité par Edilivre
Ca y est l’automne était là. Se levant comme tous les matins depuis plusieurs années vers sept heures, Emma ouvrit la porte de son jardin et un brouillard très épais l’empêcha de voir la grange à dix mètres de là.
Elle n’aimait pas cela car l’imagination aidant, elle croyait souvent voir une ombre sortir par la grosse porte en chêne de cette grange qui datait de 1850, année où fut construite sa maison.
Des dépendances, des coins, des recoins, des poulaillers, des cages à lapins et plein de choses encore rappelant qu’il s’agissait d’une ancienne ferme, c’est tout cela qui les avait emballés lors de l’acquisition ; ils eurent vraiment un coup de cœur et signèrent, heureux de pouvoir posséder enfin un endroit pour vivre et oublier le stress de Paris.
D’ailleurs, ils avaient retrouvé des mangeoires, des râteliers et même des boulets de charbon dans ces étables.
Ils avaient tout nettoyé, tout rangé, tout blanchi et assaini. Ils étaient enfin chez eux. Emma avait trente cinq ans et Julien quarante deux. ils formaient un joli couple disaient les voisins, qui au début de leur installation restaient prudents voire distants. Mais depuis cinq ans qu’ils étaient là à demeure, beaucoup s’étaient rendu compte, que sans être vraiment intégrés au village, ils faisaient partie des gens sympas que l’on saluait quand même au passage.
Il faut dire qu’ils rencontraient peu de monde. Leur résidence était située tout en haut d’un vallon dans un bois et les arbres cachaient sa vue de la route.
Pas un bruit, pas un moteur de voiture ne les dérangeait. A tel point que parfois ce silence était pesant. Emma en profitait pour mettre des cd et monter un peu trop la sonorité quand Julien partait en déplacement, elle avait ainsi l’impression d’être moins seule.
Il avait trouvé un emploi de commercial dans un garage Citroën et se déplaçait fréquemment dans d’autres garages de la région en tant qu’expert. Il lui arrivait souvent de passer un ou deux soirs par semaine à l’hôtel et de ne rentrer que le WE.
Emma qui s’ennuyait souvent souhaitait avoir un animal.
Un chien par exemple, cela serait une bonne idée, elle pourrait faire de la marche avec lui, car seule, elle ne s’en sentait pas le courage. Et puis dans ce grand bois très dense et très touffu, un chien pourrait la prévenir si, on ne sait jamais, un rôdeur venait à passer pour on ne sait quel motif !
Julien de son côté avait refusé cette idée. Il s’était même mis en colère :
- Il ne manquerait plus que cela ! déjà, que nous ne pouvons aller nulle part car ta mère est toujours dans nos jambes, alors un chien , tu dérailles complètement ma pauvre Emma, comment ferons-nous si nous voulons partir quelques jours ?
- Mais tu sais très bien que depuis que nous avons cette maison, nous ne sortons plus, tu n’es jamais disponible même le week-end !
L’ambiance tournait régulièrement à la dispute dès que ce sujet était abordé.
N’empêche, pensait Emma en regardant vers la grange entre le brouillard et la nuit qui n’est pas encore levée, être seule dans ce bois, cela fait froid dans le dos.
Et puis elle n’osait imaginer ce qui arriverait si elle avait un malaise. Le téléphone n’était toujours pas installé sous prétexte qu’ils avaient chacun un portable. Mais tout le monde savait par expérience, que ces engins-là ne fonctionnent jamais ou réceptionnent très mal quand on en a besoin. D’ailleurs c’est pour cela que Julien ne l’appelait pratiquement jamais, sauf vraiment en cas d’urgence.
Elle pensait à tout cela en resserrant sa robe de chambre. L’humidité de ce brouillard pénétrait à travers le vêtement et elle eut soudain envie de se faire une petite « flambée ». Cela allait lui occuper l’esprit et faire le plus grand bien à cette maison qui devenait de plus en plus humide et ce, malgré tout le mal qu’ils s’étaient donné pour isoler du mieux possible. Mais il n’y avait pas de secret : à part tout détruire et reconstruire, ils n’arriveraient jamais à tout calfeutrer.
Il aurait fallu faire effectuer de gros travaux d’isolation mais ils en avaient reporté l’idée, car Emma ne travaillait plus et même si les revenus de Julien étaient confortables, ils ne pouvaient faire face aux devis insensés que leur proposaient les entrepreneurs. La maison n’était pas finie de payer, le crédit courait encore sur dix ans !
Quand elle pensait à tout ceci, elle devenait morose et inquiète : avaient –ils bien fait de se mettre ce « truc » sur les épaules ?
Pendant qu’elle cherchait désespérément une allumette pour faire prendre les journaux qu’elle avait tout d’abord posés dans la cheminée avant d’y installer des brindilles puis des bûchettes, Emma cru entendre comme un miaulement. Elle se releva, tendit l’oreille mais ne perçut que le journal qui se défroissait doucement dans la cheminée.
Comment en était-elle arrivée à sursauter au moindre mouvement de feuillage alors que tout le monde disait d’elle qu’elle était une femme forte, équilibrée et qui n’avait peur de rien ? La preuve, ajoutaient-ils tous, rester dans cette vieille maison sans chien et seule, c’est qu’elle était courageuse ! Beaucoup de gens du village ne le feraient pas.
Elle en prenait consciente devant les regards étonnés lorsqu’elle leur disait : il faut que je rentre assez vite car la nuit va tomber et je suis seule.
En se remémorant tout cela, elle réalisa qu’elle avait été un peu imprudente dans cette affaire : elle ne devrait pas ameuter le village en racontant à qui voulait bien l’entendre qu’elle était souvent seule. Un jour un homme mal intentionné ou voire même plusieurs, lui rendrait visite pour lui voler le peu qu’ils avaient de biens, et elle serait la première à regretter d’en avoir trop dit.
Bon, je ne vais pas me mettre à trembler parce que j’ai cru entendre un miaulement, nous sommes à la campagne et des chats ce n’est pas ce qui manque ! Remue –toi ma grande, finis donc d’allumer ce feu et prends un café cela ira mieux dans ta tête ensuite.
Voilà ce qu’elle se disait à voix presque haute quand soudain, celle fois elle en était sûre, on marchait au premier étage. C’était nouveau ça pensa- t- elle cette fois fort inquiète, il ne manquait plus que cela !
Non je ne monterai pas, cela doit être un rat ou une souris , enfin peu importe il ressortira par où il est entré.
Mais comment avait-il pu entrer ? par les gouttières, par le toit, par la cheminée ? Mais dans ce cas il ne serait pas au-dessus de sa tête mais dans le grenier. C’était à n’y rien comprendre…
Doucement , elle prit le tisonnier dans sa main gauche et ouvrit la porte de l’escalier. Elle s’arrêta, écouta : plus rien, quoique peut-être un genre de respiration ? Oui c’était cela quelque chose respirait de plus en plus fort d’ailleurs !
Si j’étais raisonnable je partirais de cette maison en courant, se dit-elle en commençant à monter les premières marches, le tisonnier toujours à la main .
- Il y a quelqu’un ?
Pas de réponse…
- Ditesmoi qui vous êtes ? vous êtes monté pendant que j’allais chercher du bois, ce n’est pas sympa de me faire peur ainsi !
Ce bruit était de plus en plus proche, du moins ce qu’elle pensait être une respiration. Plus de doute, quelqu’un haletait là, pas loin d’elle, peut-être même l’attendait-on en haut de l’escalier. Elle mettait le tisonnier en avant et montait maintenant de plus en plus vite : il fallait qu’elle sache.
Tout à coup la lumière de la cuisine en bas s’éteignit et elle se retrouva dans le noir complet. La faible lueur qui l’aidait à se diriger lui manquait. Elle avait beau connaître cet escalier par cœur, elle n’avait pas compté les marches et ignorait totalement à quelle distance de la pièce du dessus elle se trouvait. Elle craignait de se cogner la tête contre les pieds de quelqu’un qui d’un coup, pouvait la faire dégringoler en bas sans problèmes.
Elle redemanda plus doucement :
- Il y a quelqu’un ?
Mais en se traitant de niaise intérieurement car s’il y avait quelqu’un il aurait répondu tout de suite sauf s’il venait faire un mauvais coup !
Pendant tout ce temps où Emma se demandait si elle avait peur ou bien si au contraire, elle n’avait qu’un souhait : voir enfin ce qui l’effrayait, sa chatte Moumoune, une vieille chatte aux trois couleurs la regardait, assise sur un fauteuil dans le salon.
Emma ne voyait que l’éclat de ses yeux car il faisait terriblement sombre dans cette maison ! mais il n’empêche que le fait que Moumoune ne bouge pas le bout de la queue la rassurait. Cette chatte trouillarde comme pas une ne supportait pas un bruit inconnu et courait se réfugier sous le lit, or là , elle restait attentive certes mais d’apparence sereine.
Emma tremblait de tous ses membres. La peur la tenaillait maintenant de plus en plus et elle transpirait. Une sueur mauvaise, âcre lui brûlait les yeux : Moumoune ? Moumoune appela-t-elle doucement… Rien ne bougeait. Cette chatte si vive habituellement pour répondre aux appels n’avait pas bougé d’un pouce. Au milieu de cet escalier, le tisonnier à la main, elle se sentit tout à coup idiote et dans une position indigne d’elle. Enfin voyons, il fallait qu’elle se reprenne et surtout qu’elle monte à l’étage, là où se trouvaient les bougies, sur le petit guéridon ,en bois d’ébène que lui avait offert Julien pour ses trente ans. Elle aimait les beaux meubles.
Quand elle atteignit la dernière marche, elle se mit debout très droite, et ses yeux commençant à s’habituer à l’obscurité, elle crut deviner une ombre au fond de la pièce palière.
- Julien ?
- …..
- C’est toi je le sais alors arrête de faire l’enfant et de me faire peur, tu as gagné j’ai vraiment eu la frousse de ma vie, mais maintenant, réponds – moi, cela a assez duré.
- …
Emma, n’eut pas le temps d’en dire plus, une main s’accrocha à son bras et la serra très fort. Elle eut un gémissement de douleur et en même temps, elle sentit tout son corps écrasé, serré, ses os craquèrent, et elle ne pouvait plus respirer.
- Mais pourquoi gémitelle dans un souffle, sans comprendre vraiment ce qu’il lui arrivait.
Une lueur soudain illumina la pièce, les lampes s’allumaient les unes après les autres, la pièce se mit à tourner , et les meubles à se caler contre le mur, libérant un grand espace au milieu de la pièce. Et là, malgrè la forte douleur dans tous ses membres, elle eut le courage de crier : Oh non pas ça !!!
Devant elle, surgissant de nulle part, un cochon se dressait sur ses pattes avant et tournoyait au son d’une vague musique venue de loin. Puis des lapins se mirent à sautiller, s’arrêtant soudain et se dressant eux aussi sur leurs pattes avant.
Puis, ce fut le tour des poules, des canards, des pintades, toutes plus caquetants les une que les autres, une énorme rumeur maintenant se fit entendre couvrant le mugissement d’une vache qui venait de s’introduire par la fenêtre et prenait à elle seule toute la place disponible. Une belle charolaise à la robe marron, au poil épais venait vers elle, la bave au museau.
Mon dieu, mon dieu ! ne faisait que répéter Emma, mais c’est un cauchemar !
Quand tout ce petit monde fut dans la pièce, une voix s’éleva soudain demandant le silence.
C’était Moumoune, du moins elle le pensa.
- Emma, demande pardon à mes camarades, exigea-t-elle d’une voix sévère.
- Mais pourquoi ?
- Simplement parce que je te le demande …
- Mais Moumoune, je ne t’ai jamais fait de mal ? explique- moi je t’en supplie !
- Tous les animaux que tu vois viennent venger leurs amis que tu as osé manger depuis que tu peux te payer de la viande ; tu l’as toujours fait sans état d’âme sans te demander si ces animaux avaient une mère, une famille si quelqu’un allait souffrir de leur absence, de leur mort devrais-je dire pour que tu t’empiffres et que tu dises à la fin du repas : c’était bon mais ce lapin était un peu dur non ? ou alors mieux ! ce boudin était bon mais je le trouve un peu fade , j’en passe et des pires par respect pour mes amis.
- ???
Quand Emma sentit s’abattre sur elle un sabot qui lui fendit le crâne, elle accusa immédiatement la vache, forcément et pourtant non. Il s’agissait de Julien qui l’assommait avec le tisonnier qu’elle avait posé par terre.
Les animaux comme par enchantement disparurent et Emma dans un dernier souffle les vit se ratatiner et s’écrouler comme des baudruches sur le sol. Il ne resta d’eux que du plastique et des ficelles… Julien ramassa le tout, l’enveloppa dans un sac poubelle et donna un coup de pied rageur dans les reins de sa femme qui gisait à terre.
- Crève ! lui murmurat-il en se penchant sur elle.
Avec un sac plastique, il la bâillonna jusqu’à ce qu’il sentit qu’elle se détendait et devenait identique aux animaux gonflables qui lui avaient tellement fait peur.
Il ramassa le petit magnétophone, se retourna , pour jeter un dernier coup d’œil sur la pièce et se dit qu’il avait réalisé le crime parfait.
C’était sans compter sur Moumoune qui avait tout vu, tout suivi. Quand il fut en bas de l’escalier, prêt à partir, ses valises étant déjà dans l’entrée, elle miaula si fort et si longtemps qu’il revint vers elle pour l’assommer, elle aussi. Hélas, il n’avait pas pensé au téléphone qu’il n’avait pas raccroché lors d’un appel passé à la femme qu’il devait rejoindre. Quand elle entendit Moumoune, affolée, elle eut très peur pour Julien et appela immédiatement la police.
Julien est en prison.
Moumoune est maintenant sur les genoux d’Emma, qui la caresse toute la journée, l’œil éteint. Elle ne bouge un peu que lorsque les infirmières lui demandent si elle a faim.
- Oh oui mais que des légumes s’il vous plait…. Répondelle régulièrement…
FIN