A l'abordage, défi N° 86: et si tout n'avait pas été dit ?
Il ou elle a disparu dans des circonstances étranges, tragiques, mystérieuses. L'histoire dit que ses jours se sont arrêtés, et que le livre est fermé.
Pourtant ....
Vous avez retrouvé un document, une archive, dans le fond de votre grenier, dans un rayonnage de bibliothèque poussiéreux, et maintenant vous savez.
Vous savez que il ou elle n'a pas fini ses jours comme il a été dit, que tout n'a pas été dit, et que cette personne a vécu, ailleurs, dans le secret.
Il est temps de lever le voile, à vous de le faire ! De nous dire comment c'est arrivé et ce que cette personne est devenue, après ...
Parfois, il ne faut pas chercher à savoir
J’avais décidé de prendre quelques jours de vacances et d’aller en Auvergne. J’avais repéré un petit buron perdu dans la nature qui me correspondait bien du moins à mon état d’esprit du moment. Je suis une inconditionnelle des vieilles pierres et surtout des vieilles maisons avec grenier où souvent sont enfouis des souvenirs dont personne n’a idée ! Dans celui de cette maison une grande malle ne tendait les bras quand je suis allée visiter l’étage.
J’y trouvais un vieux cahier à spirales rempli d’une petite écriture un peu tremblante. Le bonheur pour moi. Dès mon premier soir, devant ma cheminée allumée (les soirées sont fraiches en septembre) je commençai ma lecture.
« … Jordan, à l’âge de dix -huit ans, avait voulu quitter ses parents pour vivre sa vie, clamait-il depuis des mois à qui voulait l’entendre.
Un matin d’hiver, un petit village dans le Puy de Dôme, encore endormi n’entendit pas les pas assourdis par une neige poudreuse qui voletait depuis plusieurs heures. Pourtant c’était cette nuit -là que Jordan, son sac à dos plein de conserves et d’eau, sans un regard en arrière, disparut.
Oui bien sûr, ses parents savaient qu’il voulait les quitter. Bon prince, il leur avait dit en les embrassant un soir : Demain, je serai loin, ne m’en voulez pas, je pars mais je reviendrai vite vous voir, je vous aime.
Louis et Francine, respectant sa décision n’avaient rien fait pour le retenir. Un petit signe de croix de la part de Francine et encore, dès qu’il eut le dos tourné !
C’était en 1965. Murol recevait ses touristes qui adoraient visiter les ruines de son château. Georges Sand l’aurait loué parait-il alors quel beau souvenir à raconter en rentrant de vacances !
Par contre, les parents de Jordan, natifs de Clermont-Ferrand n’y avaient jamais mis les pieds.
et puis, il y avait ce fameux « saut de la pucelle » immense rocher à pic près de Murol, justement . Une histoire qui faisait encore frémir. Cette
pauvre bergère poursuivie par les assiduités du Baron préféra se jeter du haut de cette falaise plutôt que de subir les outrages. Elle en remonta indemne et
naturellement personne ne voulut la croire, alors elle se jeta de nouveau dans le vide et … Mourut.
Après le départ de Jordan, plusieurs mois passèrent dans l’inquiétude. Pas de nouvelles. Certains disaient l’avoir vu en haut du Puy de Dôme, d’autres au Puy de Sancy, d’autres encore dans la cave du boulanger de Murol. Mais cela ne disait pas aux parents tourmentés ce qu’il devenait.
Un jour pourtant, un corps aurait été aperçu au pied du rocher du « saut de la Pucelle » par des randonneurs.
Les pompiers, la police, même des soldats enfin un déploiement d’hommes gigantesque fut mis en place. Mais personne n’a retrouvé le corps. Pourtant les randonneurs étaient formels : ils
l’avaient vu!
Bref après plusieurs semaines, les recherches furent abandonnées et étant donnés les témoignages de villageois, on s’accorda pour dire qu’il s’agissait de Jordan. Beaucoup l’avaient aperçu aux alentours quelques jours avant la découverte de ce corps méconnaissable en plus !
Les parents mortifiés et effondrés, se sentant coupables de l’avoir laissé partir, se torturaient de chagrin. Francine perdit complètement la tête et Louis la quitta pour ne plus entendre parler de cela et surtout lâchement pour ne pas voir sa femme dépérir… »
J’en étais là de ma lecture, complètement retournée par ces lignes écrites surement par quelqu’un qui connaissait bien l’histoire, peut-être même la maman de Jordan ? Peut-être avait-elle essayé de raconter cela sur ce cahier pour exorciser sa peine et l’avait abandonné dans ce grenier ? Peut-être aussi n’avait-elle jamais cru que le corps aperçu soit celui de son fils ?
Je n’ose dire que comme dans les romans noirs, en rangeant ce cahier une feuille en tomba. Cela fait roman fleuve et pourtant
c’est ce qui arriva.
Je me baissais pour la ramasser et la lire. Il s’agissait d’une lettre venant d’Espagne, de Madrid exactement, signée Jordan et
datée de décembre 1990, vingt- cinq ans après sa disparition !!! Qui l’avait mise dans ce cahier ? de plus en plus troublée je décidai de passer à autre chose et de
laisser les fantômes vivre sans moi.
Cela ne fut pas simple car j’étais à peine couchée, il devait être minuit, un coup sec à ma porte me réveilla en sursaut.
— Ouvrez s’il vous plait !
— Qui êtes-vous ? Que voulez-vous ?
— Ouvrez, vous dis-je !
Je pris le tisonnier sur le valet de cheminée et en robe de chambre, pieds nus sur un carrelage glacé, je me dirigeai vers la porte.
Ne me croyez pas et surtout si vous êtes sensibles ne lisez pas ce qui va suivre.
J’ouvris donc la porte, le tisonnier caché dans ma main gauche.
Devant moi, je vis un monstre. Oui, oui un monstre ! Une silhouette décharnée, très grande, et là encore pas comme dans les romans noirs vêtue non pas d’une grande cape, mais d’un jean et d’une chemise à carreaux dans lesquels elle flottait. Ce qui m’effraya le plus, ce fut ce trou dans le visage à la place de l’œil gauche. Cela lui donnait vraiment l’apparence d’un mort-vivant. Il ressemblait plus à un squelette que l’on aurait habillé qu’à un homme vivant.
— Bonjour Madame, savez-vous que vous êtes chez moi ? Me dit-il d’une voix très douce comme celle d’une fillette de six ans.
— J’ai loué cette maison pour mes vacances mais qui êtes-bous ?
— Jordan..
— Mais ce n’est pas possible, vous êtes mort en 1965, je viens de lire votre histoire !
— C’est ce que tout le monde a cru. J’ai vécu dans une grotte au pied du rocher après être tombé. Peut-être avais-je perdu la raison ? je me suis senti bien, à l’abri de tout. Quand les secours sont arrivés je me suis caché encore plus profondément et j’ai bloqué l’ouverture avec des branchages.
— Mais pourquoi ?
— Puis-je entrer me réchauffer auprès du feu, je vois que vous avez remis la cheminée en marche, vous avez trouvé du bois c’est bien… Je rêve de ce moment depuis vingt -cinq ans.
— Mais enfin qui vous en empêchait ?
— Personne, simplement moi. J’étais si bien, tranquille, avec comme seuls amis les rats, les mulots, les couleuvres, les souris. Parfois un mouton s’égarait et tombait du rocher. Je m’en faisais un festin pendant plusieurs mois.
Je vivais un cauchemar. Un squelette puant était entré dans la maison et je parlais avec lui comme à une petite réception entre amis. Qu’allait-il faire, me faire ? J’angoissais. Il dut s’en rendre compte car il me caressa le bras de ses doigts décharnés. Je poussai un cri de terreur.
— N’ayez pas peur, je ne mange pas encore d’humains.
Pas rassurée pour autant, je lui demandai s’il avait faim.
— Autrefois, les touristes balançaient des ordures en bas du rocher, des restes de casse-croute, des bouteilles à moitié vides, des restes de pizzas, j’arrivais à me sustenter à peu près correctement et j’écrivais. C’est moi qui ai écrit le cahier que vous avez lu. Je venais souvent ici depuis ma « disparition » Je montais au grenier et j’écrivais.
Je répétais ma question : Avez-vous faim ?
— je mangerais bien effectivement un petit morceau, me répondit-il en souriant.
Ça tombait bien, j’avais fait mes courses le matin et fait cuire un énorme poulet. Je préparais rapidement des pommes de terre que je fis bouillir et en attendant lui servit un gros morceau de pâté de campagne. Je sortis la boule de pain d’un kilo et m’assis en face de lui. J’avais du mal à supporter sa vue, il s’en rendit compte et demanda à manger seul sur la table basse du salon.
— Non non pas question, vous êtes mon invité !
Il se goinfra, engloutit le repas en un temps record, et s’écroula la tête dans son assiette.
Je me levai précipitamment et écoutai son cœur, il ne battait plus. Il était mort d’avoir trop mangé et trop vite. Il n’en avait plus l’habitude, quelle horreur !
Je le glissai jusqu’à ma voiture, il ne pesait pas lourd et en tremblant m’enfonçai dans la nuit vers « le saut de la pucelle ». Je le basculai, j’entendis un bruit de choc puis plus rien. Il ne pouvait quand même pas revivre de ses cendres une seconde fois !
Voilà c’était fini. Je rentrai dans ma location et poussait un grand cri. Son œil valide était sur la table. Si si je vous assure !
Vous ne me croyez pas ? Venez me voir à L’hôpital psychiatrique de Sainte Anne à Paris, je vous montrerai l’œil que j’ai mis dans un bocal au-dessus de mon lit. Les infirmiers confirmeront mon histoire, ils savent bien que j’ai toute ma tête…
Fin