petit jeu de maux d'auteurs
auquel j'avais participé en tenant compte des consignes ci-dessous:
"Ecrire un texte de 3000 signes,
commençant par la phrase qui suit: " Je savais que c'était une erreur de passer cet argent à mon frère. Mais est-ce que j'avais le choix?"
Dans le corps du texte, introduire cette autre phrase:
"J'aurais aimé conduire cette petite jument tout en chantant dans le vent des épithalames triomphants. »
Ces deux phrases sont extraites l'une d'une nouvelle de Carver, l'autre d'un roman d'Elizabeth Von Arnim."
C’ETAIT MON FRERE
Je savais que c’était une erreur de passer cet argent à mon frère. Mais est-ce que j’avais le
choix ?
Julien et moi étions jumeaux et jamais nous ne nous étions séparés plus de huit jours. Dès que je
partais en vacances avec mon petit ami du moment, immanquablement, il téléphonait et me demandait s’il pouvait nous rejoindre.
Hélas, je n’ai jamais eu la volonté de dire non catégoriquement et c’est ainsi que j’ai perdu
plusieurs flirts qui n’acceptaient pas le partage.
Nous avions vingt ans et toute la vie devant nous, alors nous faisions les fous, allions dans des
discothèques et bien sûr, c’était toujours moi qui payais. Il me racontait des histoires incroyables et bien que sceptique, je faisais semblant d’y croire. Il ne s’agissait que de
broutilles : emmener une copine au cinéma, changer une roue de sa vieille voiture, régler son loyer en retard, s’acheter des cigarettes. Je faisais la moue mais je
craquais.
Aujourd’hui, tout était différent.
Pourtant il n’y avait que deux ans que nous nous étions un peu perdus de vue. J’avais pris un
studio avec Arnaud et nous étions heureux. Julien passait de temps en temps mais de plus en plus rarement depuis quelques mois. Il nous racontait qu’il avait beaucoup à faire et nous ne
demandions qu’à le croire.
Je le trouvais malgré tout changé, nerveux. Lui toujours rieur plaisantait de moins en
moins.
Quand je lui posais des questions sur sa santé, il éludait et disait : ça va, ne t’inquiète
pas.
Ce soir- là, il vint nous rendre visite vers 21 heures, complètement affolé en nous demandant de
lui prêter deux mille euros, ce que je fis bien sûr. Il avait tellement l’air désespéré, mais il fut hors de question d’en savoir plus. Il ne voulut rien nous dire, malgré mon
insistance.
Quand deux jours après sa visite chez nous on nous téléphona pour nous dire qu’il s’était
suicidé, avec un pistolet acheté la veille, au noir à un type qu’il connaissait paraît-il ? Je suis restée abasourdie. A cause de moi, il était mort. Je n’aurais jamais du … Il semblait
tellement mal ces derniers temps et moi sa sœur, n’avait été préoccupée que par ma petite vie tranquille… Je n’ai rien vu venir …
Je pleurais doucement, en me souvenant notre vie insouciante d’enfants.
Nous nous inventions des histoires, quand nous étions adolescents et que nous allions rendre
visite à notre grand-père, fermier à côté de Moulins.
Dans la ferme, i l y avait un cheval, un beau percheron solide sur ses pattes et une jolie jument
fine et douce qu’il avait sauvée de l’abattoir et qu’il avait appelée Belle.
Alors parfois, nous nous regardions Julien et moi et très sérieusement, je lui disais :
quand tu te marieras, on lui mettra plein de fleurs autour du cou à Belle, une jolie étoffe blanche sur sa croupe, et tu la monteras, majestueux, avec ta fiancée en amazone : vous irez ainsi
à l’église.
Aujourd’hui, je murmure tout bas : j’aurais aimé conduire cette petite jument tout en
chantant dans le vent des épithalames triomphants, et au lieu de cela, me voilà derrière cet affreux corbillard et je t’accompagne au cimetière.
Adieu Julien