un blog pour mes écrits et pour y recevoir mes amis
( concours organisé par l’Association « Autour des Lettres & des Arts de l’Épine Et les Éditions Past’Elles)
Les manies d’Elsa
L A G A L E R E D E S T A X I S P A R I S I E N S
- Bonsoir Julie, tu restes encore un peu ? Tu fermeras ?
- Oui, oui, allez-y tranquilles les filles il faut que j’appelle un taxi…
- Ah ! Oui, c’est vrai ta fameuse « claustro » !
- C’est cela oui, ma claustro comme vous dites, c’est d’une gentillesse ! Allez à demain.
Julie alla fermer la porte de l’agence immobilière ou elle travaillait, revint à son bureau et commença à composer le numéro des « taxis verts » .
La sonnerie ne dura même pas une vingtaine de secondes et une voix suave commença : « Bonjour, nous vous remercions d’avoir fait appel à notre compagnie, nous vous demandons de bien vouloir patienter, une opératrice va vous répondre.. »
Bien, cela ne commence pas si mal se dit Julie, coup de bol, je les ai eus tout de suite. Elle cala le combiné sur son épaule gauche fouilla dans son sac. Elle ouvrit son porte-monnaie, et compta. Bon, elle avait environ cinquante francs et un billet de deux cents francs.
Tout allait bien, elle regarda sa montre, deux minutes qu’elle attendait l’opératrice. Ce n’est rien, hier j’ai patienté quatre minutes, alors il n’y a rien de perdu, se rassurait-elle.
- Allô ! Vous avez demandé un taxi, pour quelle destination s’il vous plaît ?
- Bonjour, madame, Boulevard Barbès, s’il vous plaît..
- Votre numéro de téléphone…
- 01 …..
- C’est pour aller où, m’avez-vous dit ?
- Boulevard Barbés..
- A quel numéro ?
- Au coin de la Rue Custine et du boulevard..
- Je vous ai demandé à quel numéro ?
- Mais je n’en sais rien, c’est au carrefour, je l’indiquerai au chauffeur…
- Ne quittez pas..
« Bonjour, nous vous remercions d’avoir fait appel à notre compagnie, ne quittez pas nous recherchons votre voiture...
« Vous avez fait appel aux « taxis verts » nous vous remercions de votre appel, ne quittez pas, nous recherchons votre voiture…
« Savez-vous que vous pouvez savoir tout de suite la disponibilité de votre véhicule en composant le 3615 « taxis verts » sur minitel, cela vous évitera une attente…
« Bonjour, vous êtes bien aux « taxis verts », ne quittez pas, nous recherchons votre véhicule… »
Julie commençait à ne pas se sentir bien, c’était cela les symptômes d’angoisse. Il y avait maintenant dix minutes qu’elle était en ligne et toujours cette voix « off » qui lui ressassait le même disque. Elle ouvrit de nouveau son sac à mains, sortit un mouchoir en papier, s’essuya les mains qui devenaient moites, leva un bras, puis l’autre pour s’aérer.
Elle reprit bien en mains le combiné, respira un bon coup et de nouveau se concentra sur le message !
« Bonjour, nous vous remercions de votre appel et nous recherchons votre voiture…Savez-vous que vous pouvez effectuer une réservation de 22 heures jusqu’à 7 heures ? Il suffit d’appeler au service de réservation au numéro : 01…..
« Vous restez en ligne nous recherchons votre voiture… »
Bien sûr que je reste en ligne, bien sûr, qu’est-ce que je peux faire d’autre ? Julie commençait sérieusement à s’agiter et à perdre le contrôle de ses nerfs, cela faisait vingt minutes qu’elle était « scotchée » à cette saloperie de téléphone et personne n’était encore venu lui parler.
Enervée, elle raccrocha et se dit qu’elle ne pouvait pas attendre jusqu’à demain, elle allait essayer d’obtenir une autre compagnie. Elle ramassa son sac, elle commençait à trembler légèrement tellement elle se stressait, l’heure tournait et bientôt elle se retrouverait dans les embouteillages de dix- huit heures et pour aller de République à Barbès, elle mettrait encore trois quarts d’heure !
- Bonjour, je suis bien à la SAT (société des artisans taxis) ?
- Je voudrais un taxi pour aller à Barbès…
- Bien sûr, Madame quel est votre numéro de téléphone.
- 01…
- Ne quittez pas, nous recherchons votre voiture…
- Merci..
Ouf ! Cette fois, je crois que ça y est, se dit Julie. Elle se détendit, se repeigna d’une main, et chercha du regard un papier et un crayon pour noter l’heure, une vieille habitude !
Il était 17 heures cinquante cinq. Putain, cela fait presque une demi-heure que je m’énerve, c’est vraiment de pire en pire, ces taxis…
- Allô, vous êtes bien le numéro :01….
- Oui, madame…
- Une voiture dans dix quinze…
- D’accord, merci !!!
Une bouffée d’air frais lui tombait dessus, elle sourit toute seule et se dit qu’il était dommage de s’énerver pour si peu. Elle s’agita, récupéra sa veste en jean, rangea les accessoires de son bureau, chercha les clés de l’établissement et après un bref regard circulaire, elle sortit de l’agence, se pencha pour verrouiller la porte, remit les clefs dans son sac et s’installa, bien visible au bord du trottoir pour guetter son « sauveur » ! Il était dix- huit heures cinq. Rien de perdu, on lui avait dit dix quinze minutes. Jusqu’à dix- huit heures dix, il n’y avait pas de panique.
A chaque fois qu’elle voyait arriver au loin un taxi allumé, elle se rapprochait encore plus du bord du trottoir. Mais fausse alerte, ils passaient tous sans s’arrêter. Elle recommençait à ne pas être à l’aise. Dix- huit heures vingt, toujours pas de taxi à l’horizon. Elle regardait sans cesse sa montre et s’appuyait au poteau du feu rouge. C’était bien d’ailleurs, elle se calait juste au feu rouge comme cela, le chauffeur n’avait pas de manœuvre à faire. Il continuait tout droit et si tout allait bien vingt minutes après elle était rentrée. Elle se marmonnait tout cela pour éviter de penser que le temps passait et qu’il était maintenant dix- huit heures vingt cinq.
Tout à coup, au bord des larmes, elle fit demi-tour, prit la clé de l’agence dans son sac, entra de nouveau, composa le numéro de la société de taxis.
- Allô ! Madame, j’ai demandé un taxi il y a une demi-heure, je suis en train de l’attendre devant mon établissement et il ne vient pas, pouvez-vous vérifier… ?
- Vérifier quoi, madame ?
- Mais qu’il est sur le chemin, qu’il va venir, je ne sais pas moi ! Merde ! Cria-t-elle excédée.
- Restez correcte, Madame, je vais voir, vous ne quittez pas..
-Non je ne quitte pas ! Aboya-t-elle.
-Cinq minutes passèrent de nouveau, elle n’en pouvait plus elle craquait, elle allait pleurer, s’effondrer, là sur son bureau, et demain, ils la retrouveraient endormie, lasse, si lasse… et invariablement, la voix lui disait : « ne quittez pas, nous recherchons votre voiture… »
Puis, il y eut un déclic, l’horreur, une effroyable sonnerie « occupé » lui résonna dans l’oreille. Non, ce n’était pas vrai, cela ne pouvait pas être vrai, ce n’était pas possible !
Les jambes tremblantes, elle se leva, se retenant au bureau, elle allait faire quoi maintenant ?
Elle refit le numéro des « taxis verts » .
« Bonjour, merci d’avoir choisi notre société, ne quittez pas une opératrice va vous répondre…
Elle raccrocha violemment.
Elle fit de nouveau le numéro de la SAT.
Elle avait les larmes qui lui coulaient sur le visage, elle transpirait, était toute rouge, se sentait très mal.
- Allô ! Bonjour, tout à l’heure, nous avons été coupés, j’avais demandé un taxi pour…
- Ne quittez pas, vous êtes bien au numéro : 01…..
- Oui, murmura –t-elle, n’osant croire au miracle.
- Le chauffeur vous a attendue tout à l’heure, madame, ce n’est pas gentil de faire faux bond, dans ce cas, il faut avoir le courage d’annuler la course, ce n’est pas bien.
- Mais je n’ai pas vu de chauffeur, je vous assure, j’étais devant la porte et personne n’est venu, je l’aurais vu, croassa Julie, s’étranglant de colère.
- Vous êtes bien au 22 Boulevard du Temple ?
- Mais non, je suis au 22 Rue du FAUBOURG DU TEMPLE !
- Ah ! C’est pour cela, il y a eu une erreur, vous auriez dû préciser, Madame, on ne peut pas deviner, vous voulez toujours une voiture ?
- Mais bien sûr, plus que jamais, il est dix- huit heures quarante cinq, vous vous rendez compte que cela fait une heure que j’essaie d’avoir un taxi…
- Ne quittez pas…
« Bonjour, merci d’avoir choisi notre compagnie, ne quittez pas, nous recherchons votre voiture… »
En nage, Julie essayait de reprendre son sang-froid : je ne m’énerve pas, je me calme, ce n’est rien, il y a des choses plus importantes dans la vie…
- Allô ! Vous êtes bien au numéro : 01… ?
- Oui…
- Désolée, madame pas de voiture pour l’instant, rappelez ultérieurement…
Tut... tut…tut…tut…
- Allô ! Chéri, tu es rentré ? Cela t’ennuierait de venir me chercher en voiture, on pourrait passer au Bazar de l’Hôtel de Ville, qu’en penses-tu ?
- D’accord, je vais me débrouiller, à tout à l’heure.
***
Ce vendredi après-midi, Julie ne travaillait pas.
Il faisait très beau et elle décida de passer tout d’abord par le marché Saint-Pierre car il y avait longtemps qu’elle souhaitait changer ses voilages.
En quittant son bureau, elle alla manger un sandwich chez Farsaz, le petit café d’à côté
Au bout d’une demi-heure, elle sortit et héla un taxi qui arrivait, et qui ralentissait. Il stoppa à sa hauteur et là, oh ! Malheur, elle se fit littéralement insulter par un chauffeur irascible qui ne supportait pas les gens qui fumaient ! Il s’était mis dans une telle colère quand il l’avait aperçue une cigarette à la main ! Bien entendu, elle l’aurait éteinte dès qu’elle aurait ouvert la portière, mais il ne lui a pas laissé le temps. Il s’est mis à hurler en sortant de sa voiture comme un fou, que personne ne mettrait les pieds dans SA BAGNOLE avec une cigarette, qu’il était hors de question qu’il transporte des gens qui ne respectaient rien, même pas les taxis, et que les femmes qui fumaient feraient mieux d’aller « torcher leurs mômes» ! Pourquoi pas ? Mais il n’y eut aucune discussion possible, il démarra en trombe et la laissa sur le trottoir, comme une idiote et bien embêtée car obligée d’appeler une autre voiture !
Elle ne se démoralisa pas et comme le temps s’y prêtait, elle décida de descendre jusqu’à République en chercher une directement à une station. Mal lui en prit !
Il y avait une dizaine de voitures en stationnement ce qui la rassura pleinement quand elle se présenta au premier chauffeur en tête, comme le veut l’usage.
- Ou allez-vous exactement ?
- Au Marché Saint-Pierre…
- Mais vous ne pouvez pas y aller à pieds ?
- Non, si je prends un taxi c’est que j’ai mes raisons, commença t-elle à expliquer.
- Mais je m’en fous de vos raisons, tout compte fait, je ne veux pas vous emmener, la course est trop courte, je n’ai pas attendu le client pendant plus d’une demi-heure, pour me retrouver au Sacré-Cœur. En plus à cette heure-ci, il n’y aura pas un chat et je serais obligé de revenir à vide.
- Mais attendez, ce n’est pas en grande banlieue que je vous emmène, c’est dans Paris, donc des clients vous en trouverez toujours, non ?
- Cela c’est moi que ça regarde, vous n’avez qu’à aller demander à mon collègue, le dernier là-bas s’il veut bien vous prendre…
- Mais il va me dire qu’il faut que je prenne celui qui est en tête ! S’énerva Julie.
- Et bien voyez ça avec lui !
- Vous vous fichez du monde, je ne vois pas pourquoi vous ne voulez pas m’emmener même si la course n’est pas longue, vous n’avez pas tous les jours des gens à emmener aux aéroports quand même !
- Bon, je me tire, vous commencez vraiment à m’énerver.
Sur ce, il fit un démarrage sur les chapeaux de roue, plantant Julie, hors d’elle mais très ennuyée. Après s’être reprise, elle s’avança et cogna à la vitre du dernier de la file :
- Bonsoir, monsieur, au Marché Saint-Pierre, s’il vous plaît ?
- Mais pourquoi ne prenez-vous pas le premier en tête ? C’est la règle, madame, je suis nouveau dans le métier, je ne veux pas avoir d’ennuis.
- Il a refusé la course, d’ailleurs, il est parti, il trouve que je ne vais pas assez loin…
- Remarquez, il n’a pas tort, vous ne voyez pas que nous sommes garés devant un hôtel et que l’on fait souvent appel à nous pour emmener des clients à l’aéroport ?
-Mais je ne veux pas le savoir, vous êtes à une borne de taxi, je m’adresse au premier comme le veut la coutume, il m’envoie vers vous et là, vous me dites que vous ne prenez que les clients de l’hôtel, mais je vais finir par m’énerver et je relève votre numéro, et je vais appeler la police ! S’énerve Julie.
- Appelez, madame, si cela peut vous faire du bien, mais le temps qu’ils arrivent pensez bien que je ne serai plus là et personne ne me « tirera dans les pattes » on est solidaires, nous !
- Ca j’avais remarqué dans la connerie, vous vous tenez les coudes !
Elle n’eut pas le temps de finir sa phrase, le taxi fit une marche arrière brutale, démarra et le chauffeur lui fit un bras d’honneur en passant.
Mon Dieu quelle galère ! J’en ai marre, je n’en peux plus ! Elle était au bord de la crise de nerfs, quand un nouveau taxi arriva.
-Que se passe t-il ? Un problème ?
- Ce sont vos collègues, ils me renvoient au premier puis au dernier et finalement, aucun ne veut m’emmener.
- Et ou allez-vous ?
- Au marché Saint-Pierre…Annonça-t-elle timidement.
- Allez en voiture, moi j’adore les petites courses, je suis sûr d’en faire plus, et de trouver des clients surtout dans Paris, il y a plein de « mémés » qui reviennent des magasins à cette heure-ci, c’est bon pour moi ! Et puis plutôt que de rester une demi-heure à attendre un client hypothétique, je préfère rouler !
Julie se confondit en remerciements, disproportionnés avec ce qui venait d’arriver, car enfin, il était tout à fait normal, qu’un chauffeur de taxi l’emmenât là où elle le souhaitait puisqu’elle réglait la course ! Mais ce fut ce dernier chauffeur qui la réconcilia provisoirement avec la corporation, et elle écouta, béate, les histoires qu’il lui racontait.
***
Monsieur Farsaz, le patron du bar connaissait bien Julie, elle déjeunait presque tous les jours chez lui et ils discutaient souvent de tout et de rien. Le soir, elle s’installait fréquemment pour boire un pot en attendant son mari qui faisait son possible pour passer la prendre afin qu’elle ne « s’use pas les nerfs » dans sa chasse aux taxis.
- Madame Julie, votre mari vient de prévenir, il ne peut pas venir vous chercher, votre voiture est en panne.
- Quoi ? Croassa t elle, ce n’est pas possible ! Mais comment je vais rentrer chez moi !!!
- Mais vous n’habitez pas loin, Madame Julie, à pieds, vous en avez pour une demi-heure trois quarts d’heure !
Ce que ne pouvait comprendre Farsaz, c’est que Julie ne pouvait même pas essayer de partir à pieds et de marcher sur les trottoirs bondés à cette-heure ci. La claustrophobie est une chose, mais les angoisses qu’elle génère sont handicapantes à souhait. Ses jambes tremblaient, elle était en sueur Elle craignait à chaque instant de tomber car dans ces cas-là, elle était comme ivre, et sujette aux vertiges.
Ce jour-là, en larmes, elle rentra se « terrer » dans son bureau, et attendit de s’être calmée et vers huit heures du soir, essaya de nouveau de téléphoner à une entreprise de taxi. Elle obtint une voiture facilement vers les 20 heures trente et elle oublia toute cette histoire.
***
Huit jours plus tard, alors qu’elle s’apprêtait à appeler de nouveau la SAT, vers 7 heures trente du matin, elle réfléchit et pensa qu’elle ne se sentait pas trop mal aujourd’hui et qu’elle pourrait en prenant sur elle, traverser tout le boulevard et aller en chercher un à la station de taxis la plus proche, à environ dix minutes à pied.
Ce serait plus raisonnable, pensait-elle car quand elle appelait, elle payait déjà une mini- course du lieu ou se trouvait la voiture à son domicile, ce qui en augmentait considérablement le prix.
Elle arriva à la station, et elle constata qu’il n’y avait pas de voitures en stationnement. C’est normal, à cette heure-ci, ils circulent, ils ont beaucoup de courses, se rassura t-elle.
Elle attendait depuis cinq minutes environ, elle en voyait passer sur le boulevard, mais ils étaient tous pris. Une dame arriva avec un bébé :
- Il y a longtemps que vous attendez ?
- Non, cinq minutes à peine.
- Ah ! Bon, parce que je suis pressée, j’ai rendez-vous chez le pédiatre, pour le petit, il a de la fièvre, et son médecin ne peut pas se déplacer, je suis donc obligée de lui amener à son cabinet…
« Alors là, ma grande, si tu crois que tu vas m’émouvoir avec ton gamin, tu te trompes, tu fais comme moi, tu prends la file d’attente.. » Pensa-t-elle très fort.
- Remarquez, dit la jeune femme, avec un bébé dans les bras, je suis prioritaire, heureusement et je vous remercie d’avance de me laisser la première voiture..
- Mais pas du tout, nous ne sommes pas dans les transports en commun, il ne suffit pas de présenter une carte de quoi que ce soit, ce serait trop facile !
- Mais c’est dans les règles qui régissent les taxis, et de toute façon, si vous ne pouvez pas comprendre qu’il y a des priorités, je vous plains, vous devez être bien seule dans la vie !
- Mais si, je sais qu’il y a des priorités, moi, je suis prioritaire, j’étais la première et si vous n’êtes pas contente, vous rentrez chez vous et vous appelez une voiture, non mais !
Elles se regardaient méchamment, presque haineuses, et toutes pâles toutes les deux, elles étaient dans une fureur !
Tout à coup, un taxi ralentit sur le boulevard, le chauffeur leur fait signe d’avancer, et là, oh ! Horreur, un homme jeune déboule de derrière une colonne, ouvre la portière, et le taxi démarre… Elles hurlent toutes les deux, insultent de loin le chauffeur qui ne les entend plus, se regardent, et éclatent de rire nerveusement : Elles se sont bien fait rouler !
- Bon, si on se conduisait en adulte, dit Julie, où allez-vous exactement ?
- Je vais à l’Hôpital Saint-Louis et vous ?
- Moi, Rue du Faubourg du Temple, on va s’arranger on va prendre le taxi à deux et on partage les frais, d’accord ?
- D’accord.
Cinq minutes passent encore et arrive une voiture. Elles s’avancent calmement vers la portière et le chauffeur se penchant demande : c’est à qui le tour ?
- A nous deux, on le prend ensemble on va dans la même direction…
- Mais il n’en est pas question, je ne fais pas de voiturage, après pour me faire régler c’est la crois et la bannière, vous vous décidez, ou l’une ou l’autre mais pas les deux !
- Mais puisque l’on vous dit que l’on va dans la même direction !
- Mais pas au même endroit et quand l’une sera descendue, l’autre ne voudra plus régler, je connais bien ce procédé mais ça ne marche pas avec moi, mes jolies !
Sur ce, il verrouilla vivement ses portières et démarra en trombe, laissant les deux femmes sidérées sur le trottoir.
La jeune femme au bébé, dit au revoir à Julie en l’informant qu’elle rentrait chez elle. Elle allait effectivement essayer d’obtenir une voiture en téléphonant à une compagnie.
- Bonne chance, lui cria Julie !
De nouveau seule Julie avait envie de tout plaquer là, d’aller se recoucher en se disant que demain serait un jour meilleur !
Elle en était là de ses réflexions quand un taxi conduit par une femme s’arrêta à la station. Timidement, elle ouvrit la portière, s’assit en se glissant sur le siège arrière, attendant à tout moment un cri ou une remarque désagréable. Tout se passait normalement et ce qu’elle entendit lui fit chaud au cœur :
- Bonjour, madame, alors on va où aujourd’hui ?
- Rue du Faubourg du temple…
- Parfait, j’ai ma fille qui habite par-là, je pourrais ainsi aller lui rendre une petite visite. Car croyez-moi, ce n’est pas un quartier ou je vais de bon cœur, plein d’étrangers, et sales en plus, je me demande d’ailleurs comment elle fait pour vivre là. Il faut dire que son copain est nègre alors elle a l’habitude ! J’y vais d’ailleurs aujourd’hui car il n’est pas là, car vous comprenez bien qu’il n’est pas question que je rencontre ce « métèque » Elles ont des idées les filles maintenant ! Elles ne se rendent pas compte qu’ils sont des fainéants, des « maquereaux » et des proxénètes…Bla… Bla… Bla…..
Julie se demandait si elle ne rêvait pas, toutes ces horreurs débitées en deux minutes comme s’il s’agissait d’une conversation ordinaire, de salon ! Mais le monde est fou se dit-elle, et tout à coup, elle hurla :
- Je descends là !
- Mais nous ne sommes pas arrivées !
- Je m’en fous mais je ne resterai pas une seconde de plus à vous écouter tenir des propos racistes et débiter des conneries !
- Ah ! Encore une qui les défend, on aura tout vu ! C’est avec des gens comme vous que la France est devenue ce qu’elle est !
- MERDE !!!!!!!!!!
Julie s’affala sur un banc, son cœur battait à tout rompre, elle se tenait l’estomac, elle avait physiquement mal. Mais ce n’est pas possible, ils sont vraiment tous aussi cons !!!
Elle laissa passer une dizaine de minutes puis elle se leva et commença à héler des taxis au vol, la main levée. Elle n’eut pas à attendre très longtemps, une voiture se mit le long du trottoir, le chauffeur se pencha et lui demanda : où allez-vous ?
- Et vous ? Lui répondit-elle sottement
- Non, c’est vous qui avez besoin d’un taxi, pas moi, remettez-vous, vous êtes toute pâle, vous êtes malade, vous n’allez pas vomir dans ma voiture, car hier, j’ai pris une dame avec un chien, je n’aurais pas dû, en principe je refuse toujours, mais là je me suis laissé attendrir et voilà pas cinq minutes que nous roulions, j’entends un drôle de bruit derrière et je me retourne et qu’est ce que je vois ? Le chien en train de me dégueulasser ma banquette avec une housse toute neuve ! Vous vous rendez compte et la maîtresse, tranquille, attendait que cela se passe…Bla…Bla…Bla..
- Julie, réveille-toi !
- Julie, réveille-toi, il est six heures trente et tu sais que ce matin, les taxis sont en grève….
Il va falloir que tu te débrouilles à pieds ou en stop pour aller au boulot !
- Julie, je plaisante, lève-toi, je vais t’emmener au boulot, mais dépêche-toi !
D’un bond, elle se leva, et dix minutes après elle fut prête. Ils arrivèrent une demi-heure trop tôt à son bureau mais qu’importe, elle était arrivée !
ma nouvelle :
Une bouée,
rien qu’une bouée
a reçu les félicitations du jury dans le cadre du PALMARES du CONCOURS DE NOUVELLES 2015
Organisé par l’Association « Autour des Lettres & des Arts de l’Épine
Et les Éditions Past’Elles
je la mets ici:
Une bouée, rien qu’une bouée…
Elle m’avait dit : je te donne ma parole que nous ferons toute notre vie ensemble, je t’aime.
Quand on a vingt ans, et qu’une jolie fille se pend à votre cou en prononçant ces mots, vous voyez des étoiles. Bien sûr vous la serrez dans vos bras en bégayant : moi aussi je te la donne.
Et pourtant nous sommes séparés. Au bout de cinq années de vie commune, d’amour partagé et une complicité extraordinaire.
Un jour elle me demanda si cela me tenterait d’aller en vacances dans une Ile. Pourquoi pas ai-je pensé, il y a maintenant des ponts. Cela parait puéril c’était ma condition pour accepter ce qu’elle me proposait. Elle aimait tellement la mer que je ne pouvais décemment pas refuser. Toute sa famille était de Noirmoutier, ses parents y étaient revenus à leur retraite depuis six mois et elle se languissait d’eux me répétait-elle souvent. Alors pour lui faire plaisir, j’acceptai.
Quand je la regardais, si heureuse, une vraie gamine qui attend le père Noel, je ne regrettais rien. Les deux mois précédant la date de notre départ passèrent très vite. Il n’y avait pas une journée sans qu’elle ne me soule littéralement avec ces vacances et « son » Ile ! Je dois reconnaitre que je ne comprenais pas trop cette euphorie. Cela faisait quatre années que nous partions tous les deux à travers la France et jamais elle ne s’était tant emballée.
Mais tu ne peux pas comprendre mon amour, j’y suis née, j’y avais plein d’amis, ils me manquent et je suis si contente de revoir mes parents ! J’avais quand même l’impression qu’elle en faisait trop, mais elle paraissait si enthousiaste …
Effectivement je me souvenais qu’elle me parlait assez souvent de Noirmoutier, de ses rivages, de ses pommes de terre, de ses balades en bateau, de son passage du Gois, de l’Herbaudière, des marais salants mais bon ! Tout cela ne justifiait pas à ce point autant d’euphorie.
Il faut dire que j’étais né à Paris, rien de transcendant, au cinquième étage sans confort et des parents continuellement absents à cause de leur emploi. Ils étaient tous les deux infirmiers avec des horaires complètement déments et pas vraiment en phase pour l’éducation d’un enfant. Leurs horaires changeaient tout le temps que soit la nuit, le jour, ou moitié nuit moitié jour, les jours fériés etc. je les voyais à peine. C’était notre voisine qui s’occupait bien souvent de mes repas ou de mon petit déjeuner. Ils auraient pu s’arranger, mais ils travaillaient dans le même hôpital, ce qui n’était pas facile.
Alors quand nous nous retrouvions exceptionnellement tous les trois, nous n’avions plus rien à nous dire sinon les questions toutes faites : tu manges bien à la cantine ? Tu as fait tes devoirs ? Et plus tard quand je fus adolescent ce furent d’autres questions : tu sors ? Tu as des copains, tu as une copine ?
Je souriais et ne répondais pas. Quand nous nous sommes mariés ils ne le surent que trois semaines avant.
Ce fut une petite cérémonie toute simple avec nos copains communs. Nous avions trouvé un studio pas trop cher à l’autre bout de Paris et je n’ai plus vu mes parents. Cela ne me gênait pas.
J’avais trouvé un petit boulot dans une grande entreprise à la maintenance informatique et ma femme était coiffeuse.
Ces vacances lui tenaient tant à cœur que je commençais moi aussi à être impatient de partir.
Le mois de Mai arriva enfin et tout était prêt pour notre voyage. Nous voulions éviter les vacances scolaires et ne pas être trop envahis par le monde mais bon , ce sont les vacances ! Nous partîmes à cinq heures du matin afin d’arriver tranquillement à notre location dans un gite, allée des mimosas à Noirmoutier en l’ile, une jolie maison de caractère avec bien sûr, les volets peints en bleu. Très confortable avec une cheminée. Incroyable comme ces maisons sont belles ! Je dois avouer que cela valait tous les logements « vue sur mer » que nous avions repérés sur internet ! Dehors une jolie terrasse sur un gentil jardin, le rêve. Trois semaines de bonheur nous attendaient La plage n’était pas loin, nous pourrons y aller à pieds ou en vélo.
Le lendemain nous avons loué deux vélos.
Clotilde était resplendissante dès le soir même, elle avait pris des couleurs et la fatigue de son année de travail semblait envolée. Nous avions marché, marché encore et encore, à prendre le vent marin dans le visage, respirer l’air pur et surtout parler, parler… elle me racontait son enfance, elle me racontait ses escapades avec ses copines de collège. Elles partaient le mercredi matin très tôt et fonçaient vers la plage des Dames. Pour s’y rendre, deux jeunes gens qu’elles connaissaient bien les embarquaient sur leurs petits voiliers qu’ils louaient aux estivants.
Arrivés à destination sur cette plage immense et couverte de sable fin, ils dormaient, riaient jouaient au ballon ou bien me dit-elle en rougissant : nous flirtions.
Je la trouvais charmante avec cette retenue de jeune fille. Elle m’avait parlé de ses amis Noirmoutrins me disant qu’en fait elle ne les avait jamais revus depuis qu’elle avait quitté l’île.
Le soir nous avons pu diner dehors sur la terrasse et franchement je ne cessais de me répéter que j’avais bien fait de l’écouter. Quel endroit merveilleux que cette île, moi le parisien plutôt campagne, je découvrais le plaisir simple de la béatitude devant un coucher de soleil sur la mer. Nous étions fatigués de notre longue marche mais heureux.
Le lendemain pendant que nous déjeunions sur la terrasse, elle me proposa une petite virée sur la plage des Dames ; elle voulait que je connaisse l’endroit qu’elle qualifiait de magique. Je n’étais pas très fier car je craignais une petite histoire d’amour qu’elle m’aurait cachée et je préférais qu’elle ne me parle pas de « tout ça ». De la jalousie sans aucun doute et pourtant je savais qu’elle n’était qu’à moi, qu’elle m’aimait, mais le bonheur est si fragile !
J’acceptais malgré tout et le lendemain nous y allâmes en voiture en empruntant les avenues Pineau, Victoire puis Clémenceau. Un jeu d’enfants. Nous trouvâmes tout de suite une place de parking car nous avions l’intention d’y passer la journée. Nos glacières remplies de crudités, de cochonnailles et de vin rouge léger réjouissaient les papilles. Ce soir nous passerons par Noirmoutier l’île où nous avions réservé à « la fleur de Sel » un restaurant réputé pour ses fruits de mer.
Il faisait un temps splendide et Clotilde s’étant allongée semblait dormir. Moi je dois reconnaitre que je somnolais également quand soudain ma femme poussa un grand cri ! Elle devait rêver mais je levai d’un bond et me penchai vers elle en la secouant doucement.
— Que se passe-t-il ma chérie ?
— Rien rien un cauchemar sans doute …
— Mais tu as vraiment crié très fort ?
— Bon n’en parlons plus je te dis que c’était un mauvais rêve.
— Raconte si tu veux ça te soulagera.
— Je te dis de ne plus en parler d’accord ?
Le ton employé me sidéra. Jamais elle ne m’avait parlé avec cet agacement.
La matinée passa rapidement sans que nous échangions une parole. Je respectais son silence mais j’étais particulièrement sur les nerfs et quand le soir nous arrivâmes au restaurant je remis ça:
— Tu peux me le dire maintenant à quoi correspondait ton rêve ?
— Oui je vais te raconter mais ensuite je ne suis pas sûre que tu veuilles rester ici.
— Vas-y…
Elle commença à parler d’une voix basse. Il fallait que je force mon attention pour comprendre puis tout devint très clair.
Il y a dix ans, elle venait d’avoir vingt ans et était tombée follement amoureuse d’un noirmoutrin qui habitait Vieil, près de ses parents.
Ils allaient chaque jour avec une petite barque appartenant à son père rejoindre la plage des Dames quand tous les touristes étaient, soit au restaurant soit rentrés chez eux fourbus de leur balade à travers l’île.
Leur amour dura le temps d’un été. Clotilde devait repartir avec ses parents sur Paris et le garçon travaillait comme serveur pour payer ses études justement au restaurant dans lequel nous étions en train de dîner. Ce n’était pas une coïncidence, c’est elle qui avait choisi ce lieu. Elle me l’avoua en même temps que tout le reste.
Un soir juste la veille de partir ils décidèrent de passer la nuit sur la plage.
Comme d’habitude ils vinrent en barque et …..
Un geste trop brusque de Clotilde qui se leva d’un bond à l’arrière de la barque les fit chavirer.
Ils savaient tous les deux nager, mais ils n’avaient pas envisagé qu’ils venaient de dîner et copieusement en plus.
Johan coula à pic.
Clotilde, perdue et effrayée put tant bien que mal regagner la rive, ils n’étaient pas très éloignés de la plage. Ils y étaient presqu’arrivés. Elle ne fit rien pour sauver Johan qui l’appelait, la suppliait de venir l’aider… Trop peur des représailles, elle le laissa se noyer. Elle pleurait en me racontant cela et surtout insistait sur le fait qu’elle ne savait pas quoi faire, la barque était retournée et …
Je la pris dans mes bras, essayant de la calmer et lui affirmant que tout cela n’était pas de sa faute, qu’elle avait eu peur... Enfin toutes les phrases que l’on dit dans ces moment-là.
Nous rentrâmes dans notre location, sans un mot, perdus tous les deux dans nos pensées.
Dans la nuit, j’entendis vaguement du bruit dans la cour. Je pensai que c’était un animal et je me rendormis.
On frappa fort à la porte vers six heures du matin, il faisait à peine jour. J’ouvris en me grattant la tête et je vis deux gaillards de mon âge à peu près tenant ma Clotilde, ruisselante.
Cette femme est la vôtre ? On l’a trouvée morte cette nuit sur la plage des Dames. La mer l’a sûrement ramenée avec la marée. Elle avait ça pourtant près d’elle… une bouée… On ne comprend pas pourquoi elle l’a emportée et surtout pourquoi elle ne l’a pas mise…
Je ne savais plus quoi faire ni dire. Tout se déroulait si vite !
Quand je vis sur la table de chevet une enveloppe à mon nom.
Je l’ouvris en tremblant.
Jeannot, tu n’aurais jamais dû insister pour que je te raconte mon cauchemar. C’était Johan qui m’appelait et tu sais ce qu’il me disait ? N’oublie pas la bouée cette fois, que l’on ne fasse pas naufrage deux fois …
Je ne suis jamais revenu dans l’île. Ses parents l’ont enterrée au cimetière du village et moi je suis rentré chez moi, seul….
FIN
J’ai le plaisir de vous annoncer qu’Edilivre (mon éditeur de « qu’en penses-tu » a publié une de mes nouvelles :
Histoire incroyable
Je vous en donne le résumé, succinct bien sûr !
Des années ont passé et un amour de jeunesse, Johan, resurgit dans la vie de Laura. Troublée, elle accepte de le revoir... Mais bien sûr, depuis tout ce temps, Johan n'est plus tout à fait ce qu'il était.... Troublante mais aussi terrible histoire…
Si vous voulez des détails voici l’adresse :
ELLE N’EST PLUS LA
Trois heures du matin : Jacques se réveille comme depuis des semaines : complètement en sueur et oppressé. Ses draps sont humides et il tremble. Il est si mal : Combien de temps va-t-il encore durer ? Combien de temps tiendra-t-il le coup ?
Cela fait maintenant six mois que sa compagne l’a quitté et pourtant il sent encore son parfum dans toutes les pièces de la maison. Il sent la pression de ses doigts quand elle lui prenait la main dans la nuit pour se rassurer.
Il entend encore son souffle quand elle se retenait de ne pas gémir de douleur.
Il entend sa voix quand elle lui murmurait qu’elle allait le laisser seul et que ça la rendait encore plus triste.
Il se lève, abruti de fatigue et de manque de sommeil. Vite de l’air et surtout allumer la télévision pour rompre ce silence et se sentir vivant. Il ouvre la porte-fenêtre qui donne sur un jardin maintenant à l’abandon. Pour qui ? Pourquoi l’entretiendrait-il maintenant qu’elle n’est plus là ?
Il a allumé la lumière sur sa terrasse et regarde sans voir les trois pots de fleurs fanées qu’elle avait plantées avant qu’elle….
Une envie folle de la rejoindre le prend aux tripes. Il avance dans l’air glacé de la nuit, nu et en chaussons.
Un chien aboie au loin.
Des frôlements légers dans les arbres : sans aucun doute la lumière dérange les oiseaux qui y nichent.
Il s’en fout, plus rien ne l’importe : elle n’est plus là…
Tremblant de froid maintenant, il enfile un slip et un tee-shirt et se fait chauffer un café.
Il est quatre heures trente du matin. Sa nuit est finie, le jour va bientôt se lever.
Il va enfouir son chagrin, ses angoisses, sa douleur et son manque d’elle jusqu’à …Ce soir……
ces histoires de vétements concernant le défi62 m'a fait penser à une nouvelle écrite il y a quelques mois!
Le ciel était plombé.
— La neige va sûrement tomber cette nuit dit une voisine, qui passait devant notre fenêtre pour aller promener son chien. Elle l’avait récupéré sur un autoroute, un dimanche, perdu et sûrement voué à la mort si elle ne l’avait pris chez elle et gardé. Depuis, il lui vouait un amour sans borne et bien malin celui ou celle qui aurait osé s’approcher de sa maîtresse. Comme elle s’était arrêtée sur notre pelouse, nous avons ouvert la fenêtre et il se mit à nous aboyer dessus tellement hargneusement que cela en était très désagréable.
— Tais-toi lui dit-elle, on ne s’entend plus ! Je disais donc qu’il allait sans aucun doute neiger cette nuit, «ils» l’ont dit à la radio.
Je ne sais pas si vous avez remarqué le nombre de fois que l’on dit « ils» en parlant des « gens de la télé ou de la radio » ? On ne les connaît pas , mais « ils » nous accompagnent partout : «ils» ont dit que la grippe arrivait chez nous, «ils» ont dit que le SMIC n’augmenterait que de 0,4 pour cent, «ils» ont dit que Michael Jackson était mort, «ils» disent que ça viendrait de son médecin, «ils» ont raconté qu’une fillette avait disparu dans les Yvelines, «ils» sont sûrs maintenant que le maire de F. est coupable de détournement de fonds etc.… etc.…
— Alors ! Dit Christophe mon mari, qui avait horreur de cette voisine, alors, s’ « ils » l’ont dit !
— Il se moque mais il verra bien demain matin, quand il ne pourra pas sortir sa voiture pour aller travailler.
Sur ce, un peu vexée quand même elle ajouta : je vais me mettre au chaud et je penserai à vous, le sceptique !
Une autre remarque, que je me faisais depuis que j’habitais ce village, les gens du cru nous appelaient rarement par notre nom ou même prénom. On entendait plus souvent : Alors il va bien ? Il n’a pas trop froid ? Elle est allée faire ses courses hier, je l’ai aperçue devant l’étal de la boucherie..etc..
Cette troisième personne, au début me gênait un peu, pensant qu’ils ne se rappelaient pas notre nom et nous traitaient comme des étrangers, mais pas du tout, ils faisaient cela à tout le monde. C’était leur façon de converser.
Je refermai la fenêtre en souhaitant un bon après-midi à ma voisine et grelottai tout à coup.
— C’est vrai que le froid est pénétrant, il va neiger, elle n’a pas tort !
Sur ce, Christophe sortit et me cria qu’il allait voir un ami qui habitait trois maisons plus haut.
Restée seule, je me demandais ce que j’allais faire de cet après-midi pas prévue. En effet je travaillais dans une moyenne entreprise de la préfecture, (nous étions environ 300 employés) et il y avait eu un mot d’ordre de grève. Bien sûr, je l’avais suivi. Je ne ratais jamais une grève, par conviction, et non par syndicalisme forcené, il y avait longtemps que j’avais perdu mes illusions sur les gens qui dirigeaient soi-disant les syndicats du peuple ! Dès qu’il y avait des rumeurs de grève, ils venaient nous dire : surtout ne suivez pas cette grève, il y a assez de problèmes dans la boîte, n’en rajoutez pas !
Donc c’était en fait un peu contre eux, qu’une poignée de collègues et moi avions décidé de cesser le travail à l’appel d’un nouveau syndicat, formé justement par des gens qui croyaient encore à l’action collective et pas du tout « à la carte personnelle »
J’étais chez moi, en ce jour non payé et, bien au chaud près de ma cheminée. En effet, mon mari travaillant avec moi dans la même entreprise avait aussi débrayé, et nous avait allumé un bon feu vers midi. Toute la maison en était réchauffée.
Tellement peu habituée à avoir comme ça en milieu de semaine, du temps à moi, je me sentais un peu perdue et me rendais compte que je ne savais pas par quoi commencer ! Un comble quand même ; comme on peut être des moutons bien disciplinés quand on travaille à l’extérieur !
La télé ? bof ! pas trop envie, nous n’avions que 5 chaînes et surtout l’après-midi, les programmes n’étaient pas très intéressants. Ecouter des disques ? oui bien sûr, mais je n’avais pas eu le temps de faire réparer ma chaîne et il ne me restait que des vieilles cassettes que je connaissais par cœur. Et puis comme j’avais enregistré ces cassettes il y a des années, elles n’étaient plus tellement audibles et certaines d’ailleurs auraient pu être mises à la décharge. Mais souvent il s’agissait de souvenirs et je ne me décidais pas à m’en séparer.
J’en étais là de mes réflexions quand il me vint une idée. Si je faisais le tri dans mon armoire et ma penderie, et que je vois de près ce que je pouvais donner à Emmaüs ? En effet, des vêtements, j’en avais plus qu’il ne m’en fallait et bien des jupes, pulls ou pantalons commençaient sérieusement à dater et même à être complètement démodés. Mais celui qui a froid ne regarde pas de si près la mode, et en cette saison, ce serait vraiment aider les plus démunis.
Je monte donc à l’étage et ouvre cette immense penderie que toutes mes amies m’envient. Elle fait trois mètres de long et est très profonde. Mes vêtements sont très à l’aise et sans rire, je crois que j’aime venir simplement regarder toutes ces fringues. Je dois aussi avouer que beaucoup ne me vont plus. J’ai pris quelques kilos et je ne me résigne pas à me dire : plus jamais tu ne rentreras dedans. C’est au-dessus de mes forces. Alors comme souvent, je me fais violence et pendant quelques jours je fais un petit régime. Oh ! léger, je n’ai que peu de poids à perdre mais si je veux, cet été me promener dans mes shorts et mes débardeurs…
Pour l’instant, je regarde et touche, tâte, palpe.
Et puis je me décide :
Je prends une jupe longue grise avec des boutons devant que j’adore. Je l’enlève de son cintre et je la regarde. Tout à coup j’entends des pleurs, oh pas très forts, comme ceux d’un enfant qui geint pendant son sommeil. Je dresse l’oreille, inquiète. Il n’y a que moi dans la maison. Ou alors, une amie est venue me rendre visite avec un bébé ?
J’écoute et ces plaintes continuent. Je pose ma jupe sur le canapé et je crie : il y a quelqu’un ?
Pas de réponse.
J’attends quelques secondes et reprends la jupe. Je me dis que cela n’était qu’un bruit dehors sans doute. Je réfléchis à ce que j’allais faire de cette pauvre jupe usagée et élimée à force d’être lavée.
Les plaintes, un peu plus fortes cette fois reprennent. Je n’ai pas la berlue ! C’est ici dans la pièce où je suis ! Un jouet de la chatte peut-être coincé sous un meuble ? Oui car nous avons une chatte très joueuse qui a des jouets qui couinent. Mais alors dans ce cas pourquoi reste-t-elle vautrée dans son fauteuil et me regarde-t-elle avec tant d’insistance ?
Elle aussi a entendu ce bruit et elle ne descend pas. Elle a l’air un peu effrayée d’ailleurs. Moi ? je commence à ne plus trop me sentir à l’aise d’autant que ces pleurs continuent.
Soudain une petite voix s’élève dans la pièce ! Je panique, prête à redescendre immédiatement, mais on me parle, du moins me chuchote :
— Tu te souviens quand tu es venue me chercher ? Tu m’avais repérée, mais pressée par ton travail, tu m’avais murmuré : toi tu me plais, je viendrai te chercher demain.
— Mais qui me parle ?
— Moi, je voudrais finir mes jours tranquille, chez toi, je ne veux pas aller dans la foule avec toutes les autres inconnues, tu peux me comprendre ?
— Mais où es-tu ? Que me veux-tu ? Si c’est une farce, elle n’est pas drôle. Christophe ! Hurlai-je, pensant que mon mari n’était pas étranger à cette voix. Il aimait bien jouer avec des trucs que l’on appelle « jeux qui parlent comme des humains ». Ne me demandez pas le nom exact, je n’en sais fichtrement rien !
Il m’aurait quand même répondu ou du moins se serait esclaffé, fier de sa prestation or, rien. Que cette petite voix à peine audible qui continue :
— Je fus tellement heureuse que tu me choisisses que j’ai tout fait pour rester belle, même quand tu me malmenais en me laissant traîner n’importe où. Je connais tous tes amis, toutes tes copines ! Mon Dieu ce que vous avez pu dire sur moi ! Au début, c’était sympa : elle est drôlement belle, où l’as-tu trouvée ? Il y en avait d’autres ?
Et puis tout doucement, les mêmes copines commencèrent à me critiquer : tu la gardes encore celle-là ? Ce qu’elle peut être devenue moche ! Elle était si belle au début ! Tu devrais t’en séparer, franchement en plus il faut bien reconnaître qu’elle n’a plus de forme, elle tombe lamentablement sur tes hanches qui n’ont pas besoin de ça pour se faire remarquer.
Je voudrais au passage te signaler que dès que tu avais le dos tourné c’était pire : elle est vraiment idiote de garder cette guenille, déjà qu’elle s’est empatée, elle boudine que cela en serait triste si ce n’était pas drôle.
— Voilà, toi ma maîtresse, toi mon amie, celle qui m’a toujours respectée, voilà ce que tes amies disent de toi …et de moi. Alors que tu prennes la décision de te débarrasser de moi, je peux comprendre, mais pourquoi me lacérer pour faire des serpillières ? Pourquoi ne pas me mettre simplement dans un sac plastique au grenier. Le grenier ne sert-il donc pas à ranger tout ce que l’on ne veut plus non ?
J’avais tout compris : c’était ma jupe qui me parlait.
En effet, j’étais vraiment ingrate, elle m’avait rendu tellement de services, m’avait accompagnée partout pendant si longtemps ! Grâce à elle, j’avais quand même eu de sacrés compliments au début que je la portais, puis, il est vrai que j’ai continué à la mettre par habitude, parce que je me sentais bien dedans tout simplement.
Je ne pouvais pas lui faire ça en effet, elle avait raison. Je raccrochai le cintre dans ma penderie, la flattai de la main et lui murmurai : tu restes avec moi, je crois que je suis autant attachée à toi que toi à moi.
je sentis comme un frôlement sur mon visage quand je refermai la porte de ce placard. Je ne rangerai rien aujourd’hui, j’avais le cœur trop serré par le chagrin de ma jupe.
Je la caressai encore une fois et lui fis un baiser dans le bas de l’ourlet.
Mon mari qui était dans la pièce depuis un moment, me regardait stupéfait !
— Tu embrasses tes fringues maintenant ?
— Pas mes fringues, s’il te plait, mes amies, celles qui m’accompagnent toujours, où que j’aille.
— Bien sûr, suis-je sot, me dit-il en éclatant de rire
Je ne saurai jamais s’il se moquait ou avait peur pour ma santé mentale, en tous cas, je n’ai plus jamais touché un vêtement sans m’excuser de le déranger.
petit texte dédié à toutes les Mamans:
BONNE FETE MAMAN
Dimanche c’est la fête des mères. Tous les ans, c’est comme ça. Il n’y a pas à revenir là-dessus, une fois par an, on fête les Mamans.
Partout, dans les magasins, dans les boutiques de vêtements, dans les chocolateries, même chez les marchands de vaisselle, on fête à grand renfort de promos et de pubs, les Maman.
Ces dames, ce jour-là ont droit, qui au mieux, à un petit dessin fait collectivement à l’école, il ne faut pas que nos valeurs se perdent n’est-ce pas. Elle est ravie : son petit bout de chou a fait ce petit présent de ses mains, et franchement, c’est sûrement celui qui aura le plus de valeur à ses yeux.
A la maison, c’est différent le papa donne un billet au fiston et lui dit doucement dans l’oreille pour que Maman n’entende pas : tiens c’est pour acheter un truc à ta mère, je te fais confiance, tu te débrouilles très bien, prends-lui quelque chose qui va lui plaire d’accord ?
Et puis papa ne veut pas être de reste et magnanime il va s’en mêler. Là encore, deux solutions :
Il donne deux billets à Maman et lui chuchote gentiment : tiens ma chérie, achète-toi ce qui te fait plaisir. En fait c’est ce qu’elle préfère, ainsi elle peut au moins s’acheter quelque chose dont elle a vraiment envie.
L’autre solution : Papa achète une friteuse électrique, ou une cafetière, ou pire une cocotte-minute, fait faire un paquet –cadeau et tout fier le jour J. va le chercher dans le garage, enfoui sous les tonnes de cochonneries entassées, il remonte et embrasse Maman : tiens ma chérie, je suis sûr que tu en rêvais, non ne me remercie pas je sais que tu voulais changer « la tienne » depuis longtemps. Car il va de soi, bien entendu que la cocotte -minute ou la cafetière sont la propriété exclusive de Maman, il est vrai qu’il n’y a qu’elle qui s’en sert !
Pendant ces petites cachoteries Maman, qui s’est levée tôt le matin sachant que ses bambins et son mari, la fêteront, s’est fait un joli brushing, a mis sa plus jolie robe qui date de plusieurs années, mais dans laquelle elle se sent bien et toute enjouée, elle commence à préparer le repas familial.
Ben oui hein ! II ne faut quand même pas trop en demander, c’est la fête des Mamans d’accord, mais le repas ne va pas se faire tout seul et il faut bien qu’elle récompense et fasse plaisir à sa petite famille qui va sûrement la gâter comme les autres années.
Alors le visage enflammé non pas par la joie, mais par ce sacré four qui fume depuis deux ans qu’ils doivent le changer, son gigot d’agneau qui commence à brûler et sa mousse au chocolat qui ne veut pas gonfler car le chocolat devait avoir atteint la date limite.
En tous cas elle savoure déjà le plaisir de ses enfants quand elle leur présentera les diverses petites crudités faites avec amour taillées, ciselées, et réduites en petites figures amusantes.
Et puis, une fois n’est pas coutume, elle accompagnera les crevettes d’une mayonnaise comme elle sait si bien faire et que toutes ses copines envient.
Las, cette saloperie de mayo ne veut pas monter, elle s’énerve, change de main, prend une autre fourchette, puis décide de se servir du batteur. Toutes disent que c’est mieux, alors !
Rien la mayonnaise reste à l’état de sauce liquide. Elle en pleurerait !
Elle ne désespère pas, elle tente d’en faire une autre : pareil ! La poisse. Elle a les nerfs là !
La porte d’entrée claque. Des pas dans le couloir : Maman, ça sent le brûlé jusque dans le jardin !!
— Merde c’est mon gigot !
— Alors chérie, on s’énerve ? Le jour de ta fête ?
Elle préfère ne pas répondre. Son petit dernier la regarde avec tellement d’amour dans les yeux tenant son petit flacon rempli d’haricots secs de toutes les couleurs et prêt à pleurer.
Elle se baisse vers lui :
— Bonne fête Maman !
— Merci mon trésor comme tu es gentil.
L’ado, resté derrière, le casque du baladeur sur les oreilles se balance et comme son père lui fait un signe, il fouille dans sa poche, sort le billet que son père lui avait donné :
— Bonne fête M’man !
Papa s’énerve, il n’avait pas prévu ça, car comme lui aussi avait été pris par le temps (il est vrai que la fête des Mamans leur tombe dessus aux maris et ils ne s’y attendent pas)
Donc Papa très gêné sort lui aussi un chèque de sa poche :
— Tiens ma chérie, achète-toi ce que tu voudras, désolé mais je n’ai vraiment pas eu le temps de m’en occuper.
Maman reste droite, remercie sans embrasser, s’excuse, monte dans sa chambre, pleure un bon coup, change sa robe pour un vieux jean et pull et redescend.
Ils l’accueillent dans la cuisine :
— Bonne fête maman, qu’est-ce que tu es belle ! Dit le petit.
— Ouai ! T’es top m’man !
— Oui ma chérie tu es la plus belle. On déjeune quand au fait ? J’ai le temps de passer un coup de fil à Gérard ?
Maman sourit. Maman sourit toujours même quand elle en a gros sur le cœur
Venez, on passe à table. Tu téléphoneras plus tard d’accord ?
Fin